Quelques heures seulement après avoir appris la mort de Jean-Hugues Malineau, le facteur sonne à ma porte et me tend un colis contenant un livre qui vient juste de paraître. Un livre de poèmes consacrés aux oiseaux. Je l’ouvre au hasard, espérant y trouver quelques mots de consolation, et tombe presqu’aussitôt sur ce texte de Jean-Hugues :


Rouge-gorge mon ami

mendiant trois miettes

dans les hivers de ta vie de braise

je hais comme toi

les remerciements

et les réceptions froides

comme la neige

comme toi

je cogne aux vitres

je cogne contre les murs

et j’appelle

mon cœur aussi chaud

que ton cœur sous les plumes

et donne sans détours

tout ce que je suis

en rougissant.


Oui, nous autres humains qui n’avons pas de plume pour voler ni de bec pour chanter, n’ayons pas peur de rougir, de rire et de pleurer, n’ayons pas peur de nos émotions, mieux vaut donner, tout donner, plutôt que rester prisonnier derrière la vitre de l’indifférence.


Ma rencontre avec Jean-Hugues Malineau remonte à 20 ans. Passionné de haïkus (ces petits poèmes aussi légers que des pétales de cerisier), je venais de découvrir avec joie son recueil PAROLES DU JAPON. Je lui avais écrit par le biais de son éditeur. C’est ainsi que nous découvrîmes que nous habitions à quelques rues l’un de l’autre. La vie aime à sauter par-dessus les frontières : il faut parfois faire un détour par le Japon pour rencontrer un voisin et devenir amis !

Mais revenons aux haïkus. Voici les trois derniers choisis par Jean-Hugues dans son anthologie. Aujourd’hui, ils résonnent plus fortement encore :


La vie est-elle courte

il m’a semblé bien long

le rêve que j’ai fait.                         



























Ah ! le coucou

j’écouterai le reste de ton chant

au pays de la mort.                         


(Anonyme)


Et enfin ce tout dernier, écrit par Issa, un simple paysan :


Pas une mince affaire

que d’être né homme

crépuscule d’automne.                    


Jean-Hugues aimait tout particulièrement ce haïku. Lui dont on connaît bien les jeux de mots, les facéties de langage, les acrobaties et les inventions verbales, portait aussi, tout au fond de lui, cette gravité-là. Il savait que l’existence ne s’écrit pas seulement à l’encre rose et qu’il suffit parfois d’un rien pour qu’elle bascule vers le gris ou le noir. Il savait la vie ô combien fragile et éphémère. Et c’est pourquoi il l’a tant chantée, tant aimée, tant célébrée.

Non, être né homme ou femme n’est pas une « mince affaire »…

Mais il n’y a pas de vraie gravité, sans humour.

Jean-Hugues savait qu’on ne peut pas grimper jusqu’au ciel en enfilant de lourdes bottes pleines de sérieux et de morosité. Il aimait rire et faire rire. Durant sa longue vie de poète, il a rencontré, disait-il, plus de 300 000 enfants, sillonnant les classes de la France entière. J’ai eu la chance de le voir en action. Au milieu des mômes, il était comme un poisson dans l’eau. Heureux de transmettre la petite flamme des mots réenchantés.. « J’avoue, disait-il, ne pas connaître de plus grand bonheur, que de réussir à faire rire aux larmes une classe entière — maîtresse, maître ou professeur compris — en jouant avec et sur les mots de notre langue maternelle. »

Oui, faire rire et se tordre de rire… Semer, encore et encore, des graines de liberté, de gaieté, de confiance, d’audace et de générosité…


Jean-Hugues Malineau était un homme de rituels. À ses yeux, tout pouvait devenir rituel. Une promenade dans la nature. Un repas de sushis (qu’il préparait à la perfection). Une bière bue dans un rayon de soleil. Un match de rugby ou une partie de pétanque. La cueillette des champignons. La visite d’un magasin d’antiquités à la recherche d’un rarissime album pour enfants. Le reflet d’un vitrail enflammant les dalles d’une église. Le chant d’un oiseau surpris au détour d’un chemin. Un livret patiemment imprimé sur sa petite presse personnelle (chaque année, il envoyait ses vœux à ses proches sous forme d’un recueil de haïkus écrits en complicité avec sa femme Françoise). Que sais-je encore… Le rituel est un rendez-vous. Un rendez-vous secret entre soi et le monde. C’est une manière de suspendre, un instant, le cours du temps et d’y glisser un éclat d’éternité.